Versus fighting – 1991


En début d’année, Street Fighter II révolutionne le jeu de combat, voire le jeu vidéo tout court, rien que ça. Pas de chance pour l’équipe du premier épisode, débauchée par SNK : leur Fatal Fury arrive trop tard pour être aussi marquant et fait figure de copie, alors que le développement s’est fait en parallèle.


Street Fighter II – The World Warriors (arcade, Capcom)

C’est LE jeu de baston, la référence, le jeu qui définit le genre pour toutes les années à venir. Il y a évidemment un « avant » et un « après » Street Fighter 2, mais aussi un « pendant » : la période durant laquelle lui et ses évolutions dominent le genre, le définissent, le font évoluer, jusqu’à ce que la concurrence réussisse enfin à rattraper leur succès.

Créé par l’équipe responsable de l’impressionnant Final Fight (différente de l’équipe du premier Street Fighter), il arrive dans les salles d’arcade en début d’année 1991, et son succès n’est pas tout à fait immédiat mais tout de même très rapide. Son impact ne peut pas être sous-estimé : les jeux de combat à 1 contre 1, finalement assez rares jusqu’ici, deviennent légion avec de très nombreux clones de plus ou moins bonne qualité, et envahissent les salles d’arcade. Il génère également une armée de copies illégales, ainsi que de hacks (modifications du jeu) dont certains, comme la Rainbow Edition, pousseront Capcom à créer les versions Hyper Fighting et Turbo. Son succès continu sur plusieurs années génère également un bon nombre de produits dérivés, et l’inscrit dans la pop culture aux côtés de Pac-Man ou Mario.

Mais par ailleurs, son impact est encore plus large : non content de battre divers records de ventes, il est responsable à lui tout seul (ainsi qu’à la dynamique qu’il crée) d’un sursaut dans la popularité des salles d’arcade, qui étaient alors en baisse graduelle, jusqu’à des niveaux jamais vu depuis le début des années 80, et ses versions consoles ont le même effet sur les ventes des machines, notamment la Super NES. Il ne les invente pas, mais il augmente également la popularité des jeux vidéo compétitifs en affrontement direct : des communautés se forment, ainsi que des tournois locaux et même mondiauw ; John Romero le citera comme inspiration pour le mode deathmatch de Doom.

Dans le contexte de cet historique, ce qui nous intéresse, c’est de voir ses innovations. Nous l’avons vu, il n’a pas tout inventé, loin de là : faisons le point.

  • Les combats à deux en deux rondes gagnantes sont un concept qui a des milliers d’années, et son implémentation en jeu vidéo est aussi vieux que ceux-ci.
  • De Karate Champ (1984) proviennent les blocages en reculant, les niveaux bonus, les nombreux coups possibles
  • De Yie Ar Kung Fu (1985) proviennent la barre de vie (même si le concept général est plus ancien), les adversaires multiples et véritablement variés, et le retournement automatique quand on passe derrière l’adversaire.
  • Le premier Street Fighter (1987) a introduit la variation de la puissance des coups en fonction du bouton pressé (dans sa seconde révision), les coups spéciaux à base de mouvements de joystick (quart de cercle + poing), et les arrière-plans détaillés et uniques pour chaque personnage.
  • Le style graphique et la technique impressionnante ont déjà été aperçus dans Final Fight, créé par la même équipe.
  • Certains éléments de gameplay comme les boss de milieu et de fin de jeu, ou les saisies et projections, ont déjà été vus dans divers jeux de combat.

Sur ces bases, Street Fighter II innove, et pas qu’un peu.

Le point le plus important, ce qui fait son succès auprès du grand public, c’est son « roster », la sélection de personnages. Au nombre de 8 quand la plupart des jeux se limitent à 2 ou 3 ; extrêmement variés en style comme en gameplay pendant que les concurrents proposent au mieux des variations de force/vitesse ; et surtout avec des personnalités très marquées, caricaturales et reconnaissables de loin, ils génèreront un bon nombre de passions de cosplayers. Mais ce n’est pas tout ! Chacun de ces personnages a un style de combat bien particulier : Ryu et Ken sont équilibrés, Zangief utilise des techniques de lutte, Dhalsim préfère maintenir l’adversaire à distance, etc. ; on peut également rajouter qu’ils ont chacun des coups spéciaux uniques, qui se font avec des techniques uniques : chaque joueur peut choisir son combattant préféré en terme de style et de facilité de jeu. Encore un peu ? Chaque personnage a un arrière-plan qui lui est propre : les docks de Ken, l’usine de Zangief, les éléphants de Dhalsim, la salle de bain de Honda, tout cela contribue à leur donner ou renforcer leur personnalité. Et ce n’est pas terminé, car chaque personnage a aussi sa propre musique !

Sans même avoir abordé le gameplay, on peut déjà imaginer que les spectateurs qui s’agglutinent derrière les joueurs pour regarder l’action peuvent avoir leurs personnages préférés sans avoir encore touché les contrôles de la borne, et avec des personnalités aussi hautes en couleurs, même les non-joueurs peuvent s’y identifier ! On l’oublie parfois, mais l’attrait visuel forme une grande partie de l’attirance vers un jeu, surtout dans les salles d’arcade où de nombreux jeux sont en compétition à tout moment, et les développeurs de Street Fighter II ne s’y trompent pas : la moitié de l’équipe est composée de graphistes.

L’autre partie de l’équation du succès du jeu, c’est le gameplay. C’est bien simple : Street Fighter II est tellement poussé et travaillé que toutes ses innovations se retrouvent encore aujourd’hui, et c’est le premier de la liste qui a un feeling « moderne » et qui possède tous les marqueurs attendus du genre.

Le premier point, le plus important, c’est l’amélioration de la fiabilité des contrôles. En effet, jusqu’alors les sticks et boutons n’étaient pas assez précis pour enregistrer les directions de manière fiable : c’est la raison pour laquelle les coups spéciaux du premier Street Fighter comportent un élément de chance. Avec ces nouveaux contrôles précis, les développeurs rallongent la « fenêtre de tir » des coups spéciaux, pour permettre à tout le monde se sortir des hadoukens : le jeu est un peu plus généreux que la plupart et permet quelques « frames » de latence entre la dernière direction pressée et le bouton.

Ce qui découle de ce système, de manière totalement involontaire mais qu’ils ont conservé, c’est le système de combo, ces enchaînements de coups qui ne permettent pas à l’adversaire de réagir ; Shangai Kid (1985) en avait une sorte de prototype, mais ils fonctionnaient de manière étrange. Cela transforme radicalement le gameplay, rend les combats plus dynamiques et intéressants, et permet aux meilleurs joueurs de se démarquer.

L’autre élément de gameplay introduit par cette « latence » volontaire des contrôles, ce sont les « cancels », ces techniques avancées qui permettent d’annuler l’animation d’un coup pour enchaîner avec un autre plus rapidement. D’abord découverts par hasard par les développeurs, ils ont décidé de les conserver en pensant (à juste titre) qu’ils ne seraient accessibles qu’aux joueurs les plus aguerris ; ils seront par la suite affinés pour devenir un élément de gameplay important de tous les jeux de combat, notamment parce qu’ils permettent, là encore, aux meilleurs joueurs de se démarquer.

Vous l’avez vu avec ces deux derniers paragraphes : un autre composant du succès du jeu, c’est sa capacité à distinguer les meilleurs joueurs des moins bons, en fournissant un large éventail de techniques avancées exploitables uniquement par ceux qui ont beaucoup d’entraînement, ce qui contribue à la popularité de l’aspect compétitif du jeu : on n’est pas meilleur avec de la chance.

Enfin, un dernier aspect plus subtil mais pas moins important, c’est sa gestion des hitboxes, hurtboxes et surtout les collision boxes. Les deux premiers permettent de détecter si et comment une frappe touche et sont utilisées dans à peu près tous les jeux vidéo, mais leur utilisation est très fine et très poussée ici. Le troisième concept, les collision boxes, se base sur le même système et n’est pas rare dans l’absolu… sauf en jeux de combat ! En effet, beaucoup de jeux, notamment ceux qui s’inspirent de Karate Champ (comme Exploding Fist) ainsi que la plupart des beat’em up permettent de passer l’un à travers l’adversaire : ce qui peut sembler un détail génère en pratique des combats très brouillons, où l’on passe du temps « par-dessus » l’adversaire, et l’on ne sait pas toujours si on doit frapper devant ou derrière. Street Fighter II standardise l’utilisation de ces « collisions » qui rendent les combats bien plus lisibles.

A l’époque, c’est donc une révolution monumentale… Mais aujourd’hui ? Eh bien, aujourd’hui, c’est plus compliqué, et cette version World Warriors est une des moins bonnes : mal équilibrée (car ce n’était pas leur objectif), buggée, plus lente, avec une sélection de personnages plus limitée, une IA très difficile même au niveau le plus bas, et qui triche… C’est loin d’être un mauvais jeu, mais si vous voulez du Street Fighter II, ce n’est pas la version qu’il vous faut.

Si l’histoire de Street Fighter 2 vous intéresse, allez donc lire le très bon Street Fighter 2: An Oral History.


⭐ Fatal Fury (arcade, SNK)

L’équipe originale du premier Street Fighter est partie chez SNK, et leur premier titre n’est autre que Fatal Fury, aussi appelé King of Fighters ou Garou Densetsu. Encore ancré dans des racines assez « traditionnelles », il est moins beau que son concurrent (à l’exception des arrière-plans qui changent au fil des rounds) ; moins dynamique ; moins facile d’accès ; beaucoup moins complet avec seulement 3 personnages jouables en solo ; moins technique avec seulement 2 frappes, une saisie et un bouton inutilisé ; moins précis avec des collisions moins bien ficelées ; bref, objectivement moins bon. Sa principale innovation est le concept des deux plans, géré très bizarrement : on ne peut pas changer de plan nous-même pour esquiver, on ne peut qu’y projeter l’IA ou la suivre. On peut également noter une histoire bien plus présente, racontée à travers des petites cinématiques entre les combats, ce qui sera une marque de la série et de ses dérivés. Aujourd’hui, il est dépassé dans tous les domaines par ses suites, vous pouvez donc l’ignorer sans regret.


King of the Monsters (arcade, SNK)

Le gameplay de King of the Monsters n’est ni très original (deux boutons de frappe et voilà), ni très bien ficelé (les coups passent parfois à travers l’adversaire), et le contenu est maigrichon : 4 monstres jouables qui ont un gameplay quasiment identique. Mais quelle ambiance ! Un véritable jeu de catch (taper l’adversaire ne suffit pas, il faut le soumettre pendant 3 secondes) avec des monstres géants qui détruisent une ville entière durant leur combat, pendant que des véhicules militaires leur tirent dessus ! Même Rampage (en 1986) ne donnait pas un tel sentiment d’être un monstre gigantesque et inarrêtable. Cela étant dit, le gameplay est vraiment approximatif et répétitif, et la difficulté est complètement délirante dès le troisième combat, avec un ennemi qui retire la moitié de la vie en quelques instants alors qu’il ressent à peine nos coups. En multijoueur il doit être très sympathique, d’autant plus qu’il y a un mode coop, mais en solo c’est assez moyen et trop limité.


Mutant Fighter (arcade, Data East)

Encore un jeu de combat en « 3D » inspiré du catch comme Pit Fighter ou Street Smart mais dans un environnement de mythologie vaguement grecque, Mutant Fighter est tout aussi médiocre que ses aînés, voire pire.


Solitary Fighter (arcade, Taito)

Suite de Violence Fight sorti l’année précédente, c’est exactement la même chose mais avec des gens du public qui viennent nous frapper de temps en temps, en plus de l’adversaire. Le précédent était assez médiocre, celui-ci est mauvais, particulièrement dans un contexte post-Street Fighter II.


Ultraman (arcade, Banpresto)

Ultraman est très peu connu par chez nous, mais c’est une institution au Japon, et l’origine des sentai (dont Bioman ou Power Rangers sont tirés) : des héros plus ou moins humains qui peuvent devenir géants et se battre contre des monstres inspirés par Godzilla. Le gameplay n’a rien d’inspiré par Street Fighter et ne ressemble à rien que je connaisse, il est extrêmement rigide : deux coups, une jauge de puissance qui se charge toute seule, et on choisit une attaque spéciale avec haut/bas ; on ne peut éliminer l’adversaire qu’avec l’attaque « Final ».


Beast Wrestler (Mega Drive, Riot)

Des monstres s’affrontent dans un combat de catch en 3D isométrique, les contrôles sont obscurs, il n’y a pas de barre d’énergie, on ne comprend rien à ce qui se passe.


Fighting Masters (Mega Drive, Treco)

Un jeu de combat digne des pires du genre sur console 8 bits : on frappe l’adversaire pour l’étourdir, on l’attrape, on le projette au sol, on recommence.


Heavy Nova (Mega Drive, Micronet)

Le genre de jeu pour lequel on se demande ce qu’il est passé par la tête des développeurs. Des niveaux inintéressant entre des combats lents, mous, imprécis, ennuyeux, moches, rien ne va.


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