Introduction
1978 c’est évidemment l’arrivée de Space Invaders, mais d’autres jeux sont sortis le reste de l’année… Dans d’autres genres on peut par exemple citer Atari Football, Fire Truck, Sprint 1, et de nombreuses variantes de Breakout, sorti en 1976.
Je ne vais pas vous lister tous les clones et bootlegs de Space Invaders sortis cette année, ils sont rarement intéressants et se contentent, dans le meilleur des cas, de modifier le scoring, la vitesse, des ennemis, des tirs, etc. Sachez juste que Mame liste 58 clones du jeu, ce qui est beaucoup, et ne couvre sans doute qu’une partie de la réalité de l’époque : la demande était telle que Taito n’arrivait pas à suivre, et entre la sous-traitance et les copies pirates, le marché était inondé. Je continue à ne pas lister les jeux qui ne ressemblent pas vraiment à des shmups ; il continue à y avoir des jeux de tir avec fausse arme, des clones de Jet Fighter/Biplane, des clones de Tank/Combat, etc. Mais ça n’est pas le propos de cette série d’articles. Je ne vais pas non plus lister tous les jeux de tir à la première personne qui se contentent d’avoir des sprites qui se déplacent et qu’on essaye d’aligner avec une croix au milieu de l’écran, mais je parlerai de ceux qui sont un peu plus travaillés. Je ne vais pas non plus lister tous les jeux sur ordinateurs 8 bits de l’époque (Commodore PET, Apple II et TRS-80) qui sont basiques ou copient sans imagination des titres connus, car il y en a des dizaines. Je me contenterai de lister les plus originaux (pour l’époque) ou intéressants. Sachez juste que l’année est remplie de shooters, mais que la plupart sont peu imaginatifs et se contentent de recopier les succès existants.
Le hardware de 1978
En avril sort la console Bally Professional Arcade (appelée parfois Astrocade) qui sera rapidement abandonnée au vu de l’échec commercial : elle est certes plus puissante que l’Atari 2600, mais elle est aussi vendue 50% plus chère : 300$ face à 190$, soit l’équivalent de 1500$ en 2024 !
En septembre sort la Magnavox Odyssey 2, qui se positionne directement face à l’Atari 2600 en terme de prix, mais avec des capacités techniques largement inférieures. Le succès n’est pas au rendez-vous et la console est à la traîne en terme de ventes, jusqu’au crash de 1983.
D’autres machines sortent cette année-là : Interton Video Computer 4000, et APF-MP1000
Sky Raider (Atari)
Sorti en mars 1978
Je ne trouve malheureusement pas de vidéo de la borne originale en fonctionnement, ce qui me déçoit car elle a l’air plutôt cool.
Le joueur contrôle un curseur à l’écran à l’aide d’un volant, et le sol défile sous nos yeux, avec diverses cibles à éliminer : usines, ponts, etc. De temps en temps un avion nous fonce dessus, mais le rater ne donne aucune pénalité.
La technique du défilement de l’arrière-plan est impressionnante pour l’époque, avec un effet « rouleau » assez unique. Ce n’est pas un shoot’em up car il n’y a aucun ennemi, on ne subit aucun tir, et on ne contrôle pas un avatar à l’écran, mais il est tout de même intéressant, ne serait-ce que pour sa technique.
Sea Wolf II (Midway)
Sorti en avril 1978
Suite du précédent, qui continue à avoir du succès, il lui ajoute un mode deux joueurs grâce à deux périscopes sur la borne ; je ne trouve malheureusement pas de vidéo de celle-ci.
Le gameplay n’a pas évolué d’un iota à part cette addition d’un second joueur, mais la technique est très évoluée pour l’époque, avec un dégradé de bleu pour la mer, du rose pour le ciel (au soleil couchant, hein), et des navires rouges ou jaunes, le tout sans utiliser d’overlay comme c’est souvent le cas : il a plusieurs années d’avance sur la concurrence !
⭐ Space Invaders (Taito)
Sorti en juin 1978 au Japon, en octobre aux USA ; porté et copié absolument partout, y compris sur des machines en théorie incapables de faire tourner ce genre de jeu
Un des jeux vidéo d’arcade les plus connus au monde, et les plus influents, non seulement dans son design, qui sera recopié par un nombre incroyable de développeurs, mais aussi pour toute l’industrie du jeu vidéo : c’est le premier véritable « hit », encore plus que Pong, et montre à l’industrie du divertissement que les jeux vidéo ne sont pas qu’un gadget de plus à rajouter à une salle qui en comporte d’autres. Des bornes se retrouvent absolument partout, et même si c’est vu d’un plutôt mauvais œil au Japon, étant associé aux bouis-bouis où l’on fait des jeux de hasard illégaux. De nombreux endroits qui n’ont habituellement rien à voir avec les jeux d’arcade se mettent à disposer des bornes ici et là, de préférence au format « cocktail », une table basse sur laquelle on joue penché, et qui permet de poser ses boissons. En revanche, et contrairement à une certaine légende urbaine, il n’a pas généré de pénurie de pièces de 100 yens, en tout cas pas au niveau national : la légende apparaît pour la première fois de nombreuses années après, et rien à l’époque au Japon n’en fait mention.
Le jeu est bien connu, mais au cas où, en voici tout de même une description. Le joueur contrôle un tank (oui c’est un tank) en bas de l’écran, qu’il peut déplacer latéralement à l’aide d’un joystick, et un bouton permet de tirer, un seul tir à la fois : il vaut mieux ne pas rater son coup. Les ennemis, des aliens, sont disposés en 11 colonnes et 5 lignes. Ils se déplacent doucement, de droite à gauche et de gauche à droite, en faisant demi-tour lorsqu’ils arrivent sur le bord de l’écran, et descendent un peu à chaque fois qu’ils changent de direction. Les aliens tirent aléatoirement sur le joueur, qui peut se protéger derrière quatre boucliers en forme de U inversé, et qui se dégrade au fur et à mesure qu’il reçoit des tirs, et sont détruits si les aliens les touchent. De temps à autre, une soucoupe traverse le haut de l’écran, et si le joueur arrive à la toucher, elle lui donnera beaucoup de points (le montant varie en fonction des réglages). Les aliens accélèrent légèrement au fur et à mesure qu’ils sont éliminés, jusqu’à être très rapides lorsqu’il n’en reste que 2 ou 3, et le dernier est réellement difficile à éliminer. Une fois une vague éliminée, une nouvelle apparaît, qui se déplace un peu plus vite que la précédente, et tire un peu plus souvent.
Voyons un peu les éléments présents dans les shooters vus jusqu’ici :
- Les cibles qui se déplacent toutes seules et sur lesquelles on doit tirer avec le bon timing date au moins de 1975 avec Anti-Aircraft, peut-être de 1974 si la description de Attack UFO (aussi de Taito) est exacte.
- Les multiples cibles qui donnent des points différents datent de 1976 avec Sea Wolf.
- L’avatar (véhicule) que l’on déplace à l’écran pour placer ses tirs date de 1975 avec Avenger.
- La difficulté qui augmente progressivement existait déjà en 1976 avec Flying Fortress.
- Les jeux « infinis » avec des vies limitées ont déjà été vues dans une poignée de jeux, et sont le concept des billes du flipper, mais la grande majorité des jeux vidéo à cette époque fonctionnent plutôt avec un système de durée limitée.
Et en fait, c’est à peu près tout ? Tous les autres éléments de gameplay semblent nouveaux :
- Le nombre de cibles à l’écran est très grand pour l’époque : 55 ! Alors que les contemporains se contentent d’une poignée de cibles tout au plus.
- Les cibles se déplacent de manière prévisible, ce qui en fait un jeu sur lequel on peut s’entraîner assez facilement, alors que la plupart des concurrent reposent énormément sur le hasard des apparitions. Le jeu n’est pas complètement prévisible (les aliens tirent aléatoirement, par exemple) mais le jeu introduit suffisamment d’éléments prévisibles pour que le joueur ait le sentiment de progresser à chaque nouvel essai.
- Les cibles tirent aussi sur le joueur : c’est sans doute un des points les plus marquants, car jusqu’ici les seuls adversaires qui se défendent sont des joueurs humains, ou qui simulent un humain ! C’est cela qui en fait un véritable « jeu vidéo » plutôt qu’une adaptation vidéo d’un concept existant : le joueur va pouvoir continuer à jouer et enchaîner les stages pour aller le plus loin possible jusqu’à être dépassé par la difficulté, même sans être intéressé par le score, alors que ce dernier était le seul intérêt de l’intégralité des jeux vidéo vus jusqu’ici.
- La soucoupe introduit le concept de bonus non obligatoire, qui différencie les meilleurs joueurs en leur permettant de gagner beaucoup plus de points, un peu comme au flipper
- Le high score est mémorisé tant que la machine reste allumée, ce qui va pousser les joueurs à se dépasser pour que ce soit leur score affiché en haut de la machine.
Tout comme pour Street Fighter 2, il y a un avant et un après Space Invaders dans le design des shooters : les jeux qui ne correspondent pas au modèle disparaissent quasiment totalement du jour au lendemain, et c’est à partir de ce modèle que le genre évoluera.
Le jeu est énormément copié, et on retrouve des dizaines de bootlegs (copies illégales) qui sont parfois identiques ou quasi, et parfois sont des copies juste assez différentes pour être légales. Je ne les liste pas tous ici, mais en 1978, il y a des tas de copies sans aucune autre nouveauté que le titre ou le système de scoring, ou bien changent des détails comme le nombre de tirs du tank ou sa vitesse de déplacement, le nombre d’ennemis, ou juste les graphismes. Il lance ainsi tout simplement l’industrie du jeu vidéo Japonais : non seulement avec tous les copieurs illégaux, mais aussi les fabricants sous licence officielle, de nombreuses société font ainsi leurs débuts.
Space Invaders est donc une véritable révolution du jeu vidéo tout entier, et mérite bien sa place au panthéon… mais aujourd’hui ? Eh bien c’est beaucoup plus compliqué, et alors que le jeu de baston n’a pas fondamentalement changé depuis Street Fighter 2, ce n’est pas le cas des shooters qui sont devenus méconnaissables en quelques années, et Space Invaders reste jouable, mais… c’est vraiment très basique.
Et regardez-moi cette borne avec un superbe effet de rétro-projection sur un fond qui donne un bel effet de profondeur, bien loin du monochrome basique que l’on a en émulation :
⭐ Star Fire (Exidy)
Sorti en décembre ; copié sur diverses consoles et ordinateurs 8 bits
Un « simulateur spatial » dans la veine de Starship 1, mais qui repompe cette fois-ci sans aucune honte Star Wars : la police du titre, les ennemis qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des Tie Fighters, le vaisseau qui tire depuis les quatre angles comme un X-Wing, etc. Les ennemis arrivent de tous les côtés à l’infini et on leur tire dessus, en faisant attention à ne pas faire surchauffer ses lasers, en accélérant ou en ralentissant, jusqu’à se faire détruire ou jusqu’à ce que la jauge de carburant soit vide.
C’est globalement très classique et le concept a peu changé depuis Pursuit en 1975, ou Starship 1 en 1977 si on veut rester dans l’espace. Ce qui le distingue des autres titres du genre, c’est l’habillage : une grosse borne dans laquelle on s’assoit comme dans un vaisseau ; des graphismes en couleurs, ce qui était loin d’être la norme à l’époque ; des gros sprites et du sprite scaling très fluide ; des bruitages qui claquent ; bref, une qualité technique bien supérieure à la moyenne de l’époque.
Il a un très bon succès, au point qu’on le retrouve dans les charts US jusqu’en 1980 ! Aujourd’hui il est trop basique et répétitif pour être vraiment agréable à jouer, mais ça reste dans le haut du panier de l’époque.
Alien Attack (Petsoft)
Pas de date précise ; sur Commodore PET
Le joueur contrôle un vaisseau en haut de l’écran, qui se déplace latéralement. Depuis le bas arrivent des astéroïdes qui doivent être évités, et des vaisseaux aliens qui doivent être détruits. Ca ne ressemble à rien de connu, mais c’est vraiment très basique ; le Commodore PET n’est pas capable de prouesses techniques incroyables de toute façon.
Cosmic Conflict! (Magnavox)
Pas de date précise ; sur Odyssey 2
Un shooter spatial à la première personne, dans la veine de Starship 1 et Starfire, mais avec des ennemis légalement distincts des Tie Fighters (Star Wars est sorti en 1977, l’année précédente). C’est un peu répétitif mais pas mauvais, si on considère la machine et la période.
Starwars (auteur inconnu)
Pas de date précise ; sur TRS-80
Le joueur contrôle un X-Wing (représenté par un X) dans la tranchée de l’Etoile de la Mort, et doit éviter les Tie Fighters (représentés par des H) jusqu’à arriver à la fin de la tranchée. Il faut se déplacer constamment sous peine de se faire détruire par les tourelles (invisibles), esquiver les ennemis, se positionner correctement pour lancer une torpille dans la bouche de ventilation à la fin de la tranchée, puis en sortir à temps pour ne pas être pris dans l’explosion : c’est très complexe pour l’époque, et assez prenant. C’est aussi le premier shooter « à la troisième personne » que je vois, même si je doute très fortement qu’il ait eu une quelconque influence sur qui que ce soit.